Histoire succincte de l’intelligence économique

L’intelligence économique – ou business intelligence – n’est pas née d’aujourd’hui. Elle comprend trois volets :

  1. anticiper au travers de la veille stratégique et concurrentielle (collecte, traitement, diffusion des informations) par la mise à disposition des informations aux acteurs économiques, en vue de leur exploitation ;
  2. influer au travers de la mise en œuvre des médias et des réseaux sociaux, du lobbying, de la culture, voire de la corruption ;
  3. sécuriser et protéger les actifs, les brevets et l’information stratégique des entreprises et des administrations.

L’intelligence économique s’est développée sous la conjonction de deux phénomènes de mon point de vue étroitement corrélés :

  1. la chute du mur et l’effondrement de l’empire soviétique ;
  2. l’émergence d’un Internet mondial grand public.

Dans ce monde ouvert, nous sommes désormais en guerre économique.

Exemples d’intelligence économique dans l’anthropocène

Les exemples – bien avant et au cours de l’anthropocène  – sont nombreux. J’en ai retenu que trois de la nouvelle ère.

L’une des plus grandes actions d’intelligence économique de l’anthropocène fut initiée par l’empereur Mutsuhito sous le temps de l’ère Meiji. Face aux tiraillements de la société japonaise parfaitement illustrés dans le film « Le dernier Samouraï« , le Japon, tout en maintenant ses bases culturelles, cherche à s’ouvrir à la technologie occidentale pour mieux la copier, puis pour la produire sur son sol. La folie expansionniste amènera les explosions nucléaires dévastatrices d’Hiroshima et de Nagasaki.

Si la France a été un grand empire colonial, l’Angleterre a su très tôt développer, puis maintenir une diplomatie toujours considérée à ce jour comme la meilleure du monde. Elle s’en sera servie comme un outil de domination sans partage sur le monde jusqu’à la 1ère guerre mondiale. La diplomatie, sa langue qui a colonisé le monde ont été son Soft Power.

Après guerre, le Japon de 1949, totalement dévasté par 8 années de guerre, doit reconstruire son appareil économique. Et c’est au travers du MITI (Ministry of International Trade and Industry) que les Japonais vont développer une vision moderne de l’IE, mélangeant le monde politique, les administrations et les entreprises privées.

En France

Histoire succincte de l'intelligence économiqueFace à l’Allemagne nazie, le Front populaire en 1936 crée le ministère de l’Économie nationale afin « d’assurer l’unité de la direction des initiatives du gouvernement dans le domaine économique ». Après guerre, en 1946, la France se dote d’un commissariat général au Plan. L’objectif est de faire de la prospective. En 2006, le commissariat au plan est rayé de la carte.

Le plus extraordinaire moment dans la méconnaissance du pillage des données stratégiques des entreprises françaises a été sans nul doute la publication du rapport Gallois sur la compétitivité des entreprises françaises. Plutôt que de nous refaire un numéro de ventriloque sur les problèmes de compétitivité-coûts liée au 35 heures et aux charges, Louis Gallois aurait été mieux inspiré de traiter de la nature de l’Euro et surtout de l’impact du cadre législatif américain avec en 1996 le Cohen Act, en 2001 le Patriot Act, en 2008 l’amendement à la loi FISA qui préfigurait le Cloud Act de 2018 mettant en cause gravement notre souveraineté.

Pour illustrer le retard dans la prise de conscience par nos « élites », sachez que le MEDEF aura attendu le 19 février 2019 pour la création d’un Comité de souveraineté économique et de sécurité des entreprises françaises. Après la vente d’Alcatel et d’Alsthom aux américains, il y a de fortes chances que la prise de conscience soit un peu tardive.

En 2020, Emmanuel Macron nomme François Bayrou, Haut-Commissaire au plan, là où il aurait fallu sans doute réinventer une sorte de MITI à la française, compte tenu du niveau de désindustrialisation de notre pays. Le 1er rapport du maire de Pau, sans aucune proposition, parle de natalité et d’immigration. Croyez-vous qu’un homme comme François Bayrou puisse faire un jour la moindre proposition dans un domaine appartenant au champ de l’intelligence économique ?

Anecdotes personnelles

Nous aurons bien ri – jaune ? – durant des années de tous ces touristes japonais munis de leurs appareils photos qui mettaient en image notre beau pays. Il n’y a désormais plus besoin de photographier la France. Il suffit de regarder les images publiées dans les réseaux sociaux pour disposer de données « blanches », OSINT in english in the text. Il y a quelques années, j’ai travaillé pour une entreprise fabriquant du carton dans le Nord de la France. Dans l’usine, il y eut un mouvement de grèves et les syndicalistes ont eu alors cette brillante idée de publier les photos des chaînes de fabrication à l’insu de leur plein gré dans les réseaux sociaux. Très rapidement, ils ont dû faire face à un concurrent kazakh qui avait su décrypter les images publiées pour moderniser sa fabrication de cartons.

Deuxième exemple. En formation à Amiens, le propriétaire de la chambre d’hôtes où j’étais hébergé m’a expliqué que son entreprise spécialisée dans le matériel médical avait reçu un appel d’un fonds de pension américain. Non cotée en bourse, le dirigeant de cet entreprise, très âgé, avait évoqué son envie de plier les gaules à un cercle de personnes très restreint, au point où ce fonds l’appela pour racheter son entreprise.

Références

 

Intelligence économique /